La Commission des finances et du budget a tenu une séance d’audition consacrée à l’examen d’un projet de loi portant approbation d’un accord de garantie signé le 12 mars 2025 entre la République tunisienne et la Société internationale islamique de financement du commerce (SIIFC). Cet accord est directement lié au contrat de « Mourabaha », visant à contribuer au financement de l’importation de gaz naturel, ressource essentielle à la production d’électricité dans le pays.
Au cours de cette séance, les représentants du ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie ont apporté plusieurs précisions techniques et financières.
Ils ont expliqué que le prix du kilowattheure en Tunisie s’élève actuellement à environ 472 millimes, dont 70% du coût est lié au gaz. Cette part se répartit entre les achats de gaz auprès de l’Algérie (50%), une redevance de 15% et le reste provenant de la production nationale.
Ils ont ajouté que le coût de la production locale de gaz est estimé à environ 370 dollars par tonne, tandis que le prix des importations en provenance d’Algérie atteint environ 500 dollars par tonne, ce qui alourdit considérablement la facture énergétique du pays.
Dans ce contexte, les représentants ont souligné que les investissements de la STEG sont réalisés en devises, ce qui amplifie l’impact de la hausse des prix internationaux du gaz. Ils ont notamment rappelé que le prix moyen de revient a été affecté par l’augmentation imposée par la partie algérienne sur le prix du gaz naturel, avec un effet rétroactif à compter d’octobre 2021.
Face à cette situation, les autorités affichent un objectif clair : préserver autant que possible le prix de l’électricité pour les citoyens, tout en réduisant la dépendance énergétique du pays. Pour atteindre cet équilibre, les énergies renouvelables sont appelées à jouer un rôle central, dans le cadre d’une stratégie progressive et cohérente visant à maîtriser l’évolution des tarifs dans les années à venir.
Ils ont rappelé à cette occasion que l’État subventionne actuellement l’électricité à hauteur d’environ 40%, et que 85% des consommateurs utilisent moins de 200 kilowattheures par mois, un indicateur révélateur de la nécessité de maintenir des tarifs accessibles, dans un contexte social fragile.
Toutefois, ils ont insisté sur le fait que toute augmentation des prix de l’électricité et du gaz ne peut être envisagée qu’après des études approfondies, tenant compte de l’impact social et économique. Parallèlement, la STEG devra impérativement intensifier ses efforts pour réduire ses coûts de production.
Conforme aux principes de la finance islamique
La conclusion de l’accord de « Mourabaha », objet du projet de loi, concerne un financement d’un montant de 70 millions de dollars, signé dans le cadre de la coopération avec le Groupe de la Banque islamique de développement. Cet accord vise à assurer l’approvisionnement de la STEG en gaz naturel, tout en diversifiant les sources de financement nationales et étrangères afin de mobiliser les ressources nécessaires au respect des engagements contractuels de l’entreprise, contribuant ainsi à renforcer la sécurité énergétique du pays.
Les conditions financières de cet accord prévoient un financement sous forme de contrat de « Mourabaha », conforme aux principes de la finance islamique. Le taux appliqué correspond au taux Mid Swap (MSR), auquel s’ajoute une marge de 4%.
La durée du financement est fixée à 12 mois, à compter de la première mobilisation des fonds. Chaque tirage devra être remboursé en trois tranches : une première après 24 mois, une deuxième après 30 mois et une troisième après 36 mois. Par ailleurs, une commission d’exécution équivalente à 0,4% du montant total du financement est appliquée. L’ensemble du financement est garanti par l’État tunisien.
Surprise et doutes de la part des députés
Cependant, cet accord a suscité plusieurs interrogations de la part des députés. Ces derniers ont rappelé que, conformément aux principes de la « Mourabaha », les contrats ne devraient pas inclure de taux d’intérêt, exprimant ainsi leur surprise face à ce mode de financement, d’autant plus que les prix du baril de pétrole sont actuellement orientés à la baisse.
Ils ont également exprimé des doutes quant à la capacité réelle de ce prêt à résoudre les difficultés financières de la STEG, soulignant qu’il s’éloigne de la politique d’autonomie financière et de mobilisation des ressources propres. Dans un souci de transparence, les députés ont exigé de recevoir l’accord-cadre dans lequel s’inscrit ce prêt, et ont proposé d’approfondir l’examen du projet en auditionnant la ministre de l’Industrie.
Cette audition permettrait de clarifier les grandes orientations en matière de transition énergétique, de développement des énergies renouvelables et de renforcement de la production nationale, tout en garantissant la pérennité de la STEG en tant qu’entreprise publique stratégique.
En réponse, les représentants du ministère ont précisé que ce prêt ne comporte pas de taux d’intérêt mais uniquement une marge bénéficiaire, conformément aux pratiques des contrats de « Mourabaha ». Ils ont toutefois reconnu que ce financement, bien que nécessaire, ne saurait à lui seul répondre aux problèmes structurels, sectoriels et financiers auxquels la STEG est confrontée. Ils ont souligné que ce prêt s’inscrit dans un accord-cadre plus large d’un montant de 1,5 milliard de dollars, et que l’entreprise est actuellement en négociation pour d’autres financements représentant environ 3,5 milliards de dinars.
STEG : un diagnostic dressé par les représentants du ministère de l’Économie
Par ailleurs, lors de cette même séance, les représentants du ministère de l’Économie et de la Planification ont présenté les principaux axes de la stratégie nationale de transition énergétique, tout en dressant un état des lieux des difficultés structurelles rencontrées par la STEG. Parmi celles-ci figurent notamment le déficit de capacité de production d’électricité, les pertes énergétiques croissantes, la forte dépendance énergétique du pays, ainsi que des difficultés financières persistantes liées à l’incapacité de couvrir les coûts de production, aux subventions partielles, au retard dans l’ajustement des tarifs de l’électricité et à l’aggravation des créances auprès des clients.
Face à ce tableau préoccupant, les députés ont unanimement souligné l’urgence d’engager des réformes profondes. Ils ont plaidé pour l’activation des mécanismes de recouvrement des créances, le renforcement de la gouvernance au sein de la STEG et l’accélération des projets liés à la transition énergétique, conditions indispensables à la préservation de l’équilibre et de la stabilité du secteur énergétique national.
Nouha MAINSI