Un nouveau projet de loi visant à faciliter le recrutement exceptionnel des diplômés universitaires en situation de chômage prolongé, est actuellement en examen devant le parlement. C’est ce qu’a annoncé mercredi dernier, aux médias, le député Saber Jelassi président de la commission de la planification stratégique au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Ce projet est soumis à la commission concernant le recrutement des diplômés scientifiques ayant connu un chômage prolongé.
Le chômage des diplômés est une question préoccupante qui a eu des répercussions sur la population active, dont notamment les jeunes.
Le taux de chômage global se stabilise à 15,7% au premier trimestre 2025, mais le chômage des jeunes entre 15 et 24 ans reste élevé, avec un taux de 37,7%. Le chômage touche également les diplômés de l’enseignement supérieur, avec des taux élevés, en particulier chez les femmes, selon les indicateurs de l’Institut national de la statistique (INS). Un problème qui a été suivi de près par le Président de la République Kaïs Saïed qui a déploré ce phénomène dû aux lobbies au sein des institutions publiques. « Ceux qui bloquent les projets au sein de l’administration publique, pourraient être remplacés par les milliers de jeunes diplômés qui sont prêts à prendre le relais » a-t-il martelé. En effet, le chômage des jeunes diplômés est dû en partie à ceux qui tiennent à ce que certaines pratiques de favoritisme, de népotisme et de corruption perdurent. En fait, le chômage des diplômés de l’enseignement supérieur constitue l’un des défis sociaux et économiques les plus aigus depuis plus d’une décennie. Loin d’être un phénomène conjoncturel, il s’est installé de manière structurelle dans le paysage tunisien, au point de devenir un symbole des dysfonctionnements entre le système éducatif, le marché du travail et les politiques publiques de l’emploi.
Rigidité du marché de l’emploi et réticences des employeurs
Dans les années qui ont suivi l’indépendance, l’enseignement supérieur était perçu comme un ascenseur social, un passeport pour la réussite et la stabilité professionnelle. Or, aujourd’hui, ce paradigme est remis en question et renforce par là-même le sentiment d’injustice et de déclassement chez les jeunes diplômés, notamment ceux issus de milieux défavorisés. Les causes de ce chômage structurel sont multiples. Il y a d’abord une inadéquation entre la formation et les besoins du marché. Il y a eu également une réduction considérable des recrutements dans la fonction publique, alors que l’Etat a longtemps été le principal employeur des diplômés. Par ailleurs, les jeunes diplômés des régions de l’intérieur sont particulièrement affectés par l’absence d’investissements et d’infrastructures locales. Sans parler de la rigidité du marché de l’emploi avec la réticence des entreprises à embaucher ceux qui sont sans expérience, même s’ils sont hautement diplômés. Le chômage des diplômés ne se limite pas à une crise économique : il engendre un sentiment de marginalisation, nourrit la défiance envers les institutions, et constitue un terreau fertile pour la radicalisation, la migration clandestine ou encore les tensions sociales. Des problèmes qui constituent une menace pour le développement et l’essor économique du pays.
Une version modifiée du projet de 2023
D’où l’opportunité du projet de loi en question dont le but est de faciliter le recrutement de jeunes diplômés et plus précisément ceux parmi eux, qui ont atteint 40 ans et plus. Une version a été convenue en 2023 mais est restée en suspens. Le député Jelassi a précisé qu’il s’agit d’une version modifiée de cette version. Le projet de loi se résume en 8 articles et les conditions de l’âge de 40 ans minimum et de la durée de 10 ans de chômage, sont exigées à l’unanimité des membres de la commission. Quant aux spécialités, elles ne sont plus déterminées, comme c’était le cas dans la première version. Toutefois, le député précise qu’il s’agit d’une version provisoire, qui sera encore discutée après les fêtes de l’Aïd, fixées au 6 juin 2025, en vue d’un vote final. Après quoi, ce projet sera présenté en séance plénière pour approbation. Pourvu que cette séance puisse se tenir avant les vacances parlementaires qui auront lieu en juillet.
Redonner du sens au mérité et à l’égalité des chances
Quoi qu’il en soit, cette initiative s’inscrit clairement dans une logique renouvelée de justice sociale. Elle vise à réparer une injustice qui a longtemps pesé sur des milliers de diplômés laissés pour compte, victimes d’un système figé et parfois bloqué par des intérêts partisans ou corporatistes. En rompant avec ces pratiques anciennes, et en affirmant le principe d’égalité des chances, ce projet de loi pourrait contribuer à restaurer la confiance dans l’État de droit, garant des droits fondamentaux, au premier rang desquels figure le droit au travail. Après plus de dix ans de chômage, ces jeunes devenus quadragénaires portent encore l’espoir d’une intégration professionnelle digne. Le projet de loi en cours n’est pas seulement un texte juridique, c’est un signal fort que la justice sociale ne doit plus être un slogan, mais une réalité concrète. Recruter des diplômés, c’est réparer une injustice, valoriser les compétences oubliées et redonner du sens au mérite et à l’égalité des chances dans un État de droit.
Ahmed NEMLAGHI